CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 23

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 23

Photo de PAPAPOUSS

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu

 

A Ferney, 15 Juillet 1763.

 

 

          Il n’y a point de cas pareil, monseigneur, ni de billet pareil. Je crois qu’il y a un an, ou deux, ou trois, qu’on me demanda un rôle pour mademoiselle Hus ; je donnai mon consentement. Je crus, quand vous me donnâtes vos ordres, qu’il en était comme des testaments, dont le dernier annule tous les autres ; et l’envie de vous obéir est toujours ma dernière volonté. Je ne me souviens point du tout d’avoir donné aucun rôle cette année. Je n’ai aucun ambassadeur au tripot, et vous êtes maître absolu. Il est vrai qu’on dit que votre protégée (1) n’est que jolie, tant mieux ; vous la formerez, cela vous amusera. Quel reproche avez-vous à me faire, s’il vous plaît, monsieur Grichard (2) ? pourquoi grondez-vous ? à qui en avez-vous ? serait-il vrai que vous dussiez amener ici madame votre fille ? Venez, logez aux Délices ; vous y serez très commodément, si mieux n’aimez Ferney. Je ne suis content ni du tripot de la comédie, ni de celui du parlement ; mais je suis si heureux à Ferney, que rien ne peut me chagriner, pas même ma santé et la mort, qui approche.

 

          Je vous souhaite vie longue et gaie.

 

          Respect et tendresse.

 

 

1 – Mademoiselle d’Epinay. (G.A.)

2 – Personnage principal de la comédie du Grondeur. (G.A.)

 

 

 

 

 

à la duchesse de Saxe-Gotha.

 

19 Juillet 1763 (1).

 

 

          Madame, on n’est pas si raisonnable à Genève que l’est votre altesse sérénissime. Il y a beaucoup de philosophes, à la vérité, qui ont un profond mépris pour les infâmes superstitions que le vicaire savoyard semble avoir détruites dans l’Emile de ce pauvre Rousseau. L’article de ce vicaire vaut mieux sans doute que tout le reste du livre. Il est goûté des grands et des petits, et cependant il est anathématisé par le conseil, qui est un peu l’esclave des prêtres. Tout est contradiction dans ce monde. Ce n’en est pas une petite de condamner ce qu’on estime et ce qu’on croit dans le fond de son cœur. Deux cents citoyens ont réclamé contre l’arrêt du petit conseil de Genève, mais bien moins par amitié pour Jean-Jacques que par haine pour les magistrats. Leur requête n’a rien produit, et Jean-Jacques ayant renoncé à son beau titre de citoyen n’a plus de titre que celui de Diogène. Il va transporter son tonneau en Ecosse (2) avec milord Maréchal. Ce pauvre diable traîne une vie misérable, et le pape est souverain avec quinze millions de revenu. Voilà comme va le monde.

 

          Nous autres Français, nous chassons les jésuites ; mais nous restons en proie aux convulsionnaires. Je ne connais que les princes protestants qui se conduisent raisonnablement. Ils tiennent les prêtres à la place où ils doivent être, et ils vivent tranquilles (quand la rage de la guerre ne s’en mêle pas).

 

          Madame, j’ai l’honneur de vous envoyer un petit catéchisme qui m’a paru assez raisonnable (3).

 

          Agréez mon profond respect.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

2 – Il n’y alla pas. (G.A.)

3 – Voyez aux DIALOGUES. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le conseiller Tronchin.

 

Ferney, 19 Juillet (1).

 

 

          J’apprends, mon cher ami, que quelques malins débitent une rapsodie intitulé : Saül, tragédie tirée de l’Ecriture sainte, par M. de Voltaire, à Genève.

 

          Il est clair par l’intitulé que c’est un tour qu’on me joue. On dit qu’il y en a très peu d’exemplaires, et qu’ils ont été très sagement supprimés par MM. les scholarques ; mais c’est assez que les ministres du saint Evangile en aient un exemplaire, pour qu’ils fatiguent la prudence du conseil. Il me semble que, dans cette occasion, ce serait à moi et non à eux à demander justice de l’abus qu’on a fait du nom de Genève et du mien. Je crois aussi que le parti le plus convenable est d’ensevelir dans son obscurité cette sottise, qui ne mérite pas qu’on lui donne de l’importance ; mais s’il arrivait que les brouillons insistassent auprès du conseil, il serait peut-être alors à propos que je détruisisse leur mauvaise volonté, en déférant moi-même ce libelle fait en effet contre moi, et visiblement imprimé pour me nuire. Ainsi donc je joins ici à tout événement une requête que je soumets à votre prudence et que je recommande à votre amitié. Vous ne la donnerez sans doute que quand il la faudra donner. Vous ne ferez que ce qu’il faudra faire. Je vous avoue qu’il serait fort triste pour moi que mon nom fût compromis à mon âge. Si vous et vos amis pouvez faire en sorte que cette sottise soit étouffée. Je vous en aurai, aussi bien que maman (2), une véritable obligation. Le conseil sait combien je lui suis dévoué. En un mot, je compte sur vous et sur vos amis, et je vous embrasse bien tendrement ; ainsi fait maman.

 

 

1 – Editeur, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

2 – Madame Denis. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

21 Juillet 1763 (1).

 

 

          On m’a dit, mon cher frère, qu’une traduction d’une pièce anglaise en trois actes, intitulée Saül et David, se débite à Paris sous mon nom. C’est un libraire, nommé Besongne, qui a eu cette insolence et cette malice. Je regarde ces supercheries des libraires comme des crimes de faux : on est aussi coupable de mettre sur le compte d’un auteur un ouvrage dangereux, que de contrefaire son écriture.

 

          Je me trouve dans des circonstances épineuses, où ces odieuses imputations peuvent me faire un tort irréparable et empoisonner le reste de ma vie. Je veux bien être confesseur, mais je ne veux pas être martyr. Je vous prie, mon cher frère, au nom de l’amour de la vérité, qui nous unit, de vouloir bien faire parvenir cette lettre à M. Marin. Il me semble qu’il vaut mieux s’adresser à ceux qui sont à portée de parler aux gens en place, que de fatiguer par des désaveux, dans des journaux, un public qui ne vous croit pas. C’est un triste métier que celui d’homme de lettres ; mais il y a quelque chose de plus dangereux, c’est d’aimer la vérité.

 

 

1 – Jusqu’à ce jour, cette lettre avait été cousue à une autre lettre du 21 Juillet 1764. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

A Ferney, 23 Juillet 1763.

 

 

          O anges ! sans vous faire languir davantage, voici la tragédie des coupes-jarrets ; elle n’est pas fade. Je ne crois pas que les belles dames goûtent beaucoup ce sujet ; mais, comme on a imprimé au Louvre l’incomparable Triumvirat de l’inimitable Crébillon, j’ai cru que je pouvais faire quelque chose d’aussi mauvais, sans prétendre aux honneurs du Louvre. Si vous croyez que votre peuple ait les mœurs assez fortes, assez anglaises pour soutenir ce spectacle, digne en partie des Romains et de la Grève, vous vous donnerez le plaisir de le faire essayer sur le théâtre ; se no, no.

 

          Vous me direz : Mais quelle rage de faire des tragédies en quinze jours ! Mes anges, je ne peux faire autrement. Il y avait un peintre, élève de Raphaël, qu’on appelait fa-presto, et ce n’était pas un mauvais peintre.

 

          Je vais vite parce que la vie est courte, et que j’ai bien des choses à faire. Chacun travaille à sa façon, et on fait comme on peut. En tout cas, vous aurez le plaisir de lire du neuf ; cela vous amusera, et j’aime passionnément à vous amuser.

 

          Remarquez bien que tout est historique : Fulvie avait aimé Octave, témoin l’épigramme (1) ordurière d’Auguste. Fulvie fut répudiée par Antoine. Sextus Pompée était un téméraire, il faisait des sacrifices à l’âme de son père. Lucius César, proscrit, à qui on pardonna, était père de Julie.

 

          Antoine et Auguste étaient deux garnements fort débauchés.

 

          Mes anges, j’ai vu votre chirurgien parmesan : il dit que vous irez à Parme, que vous passerez par Ferney ; je le voudrais. Quel jour pour moi ! Que je mourrais content.

 

 

1 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article AUGUSTE. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Helvétius.

 

26 Juillet 1763.

 

 

          Une bonne âme envoie cette traduction du grec (1) à une bonne âme.

 

          On fait ce qu’on peut de son côté, pour la culture de la vigne du Seigneur, et on a lieu de bénir la Providence, ce qui a fait dans nos cantons un nombre prodigieux de conversions.

 

          Nous vous exhortons, mes très chers frères, à combattre pour notre foi jusqu’au dernier. Ah ! si vous nous aviez consultés quand vous donnâtes votre saint ouvrage !... Mais enfin le passé est passé. On vous trompait ; on se trompait ; on vous ensorcelait ; on avait la démence de demander un privilège ; on vous faisait jouer, à tour de bras, de très mauvais vers, de petits génies, et de mauvais cœurs : n’en parlons plus. Vous ne pouvez vous venger qu’en rendant odieuses et méprisables les armes dont on s’est servi contre vous.

 

          Vous devriez faire un voyage, et passer chez votre frère, qui vous embrasse. Par quelle horrible fatalité les frères sont-ils dispersés, et les méchants réunis ?

 

 

1 – Le Catéchisme de l’Honnête homme, ou Dialogue entre un Caloyer et un homme de bien, traduit du grec. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

26 Juillet (1).

 

 

          Mes anges sauront qu’indépendamment des vers raboteux dont la tragédie des coupe-jarrets (2) fourmille, il y en a aussi d’assez incorrects qui ont échappé à la rapidité du mauvais style, comme par exemple au troisième acte, à la première scène, il y a : « Ces fers qui ont approché du grand Pompée, » et autres sottises pareilles qu’on corrigera à la main avec les autres, quand mes divins anges me renverront mon horreur.

 

          Je supplie mes anges de vouloir bien que j’adresse ce paquet sous leurs ailes à frère Damilaville. Je leur demande bien pardon d’une lettre si courte ; mais je n’ai pas autant de loisir qu’on croirait.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Le Triumvirat. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

26 Juillet 1763.

 

 

          Il y a longtemps que je n’ai eu des nouvelles de mon frère ; pour Thieriot, je ne sais ce qu’il est devenu. Tâchez, mon cher frère, de faire parvenir ce paquet au fidèle Helvétius. Ne pourrait-on pas trouver quelque Merlin ou quelque bon diable dans ce goût, qui gagnerait quelque argent à distribuer le pain aux fidèles ? Et comme il faut que les bonnes œuvres soient ignorées, on pourrait lui envoyer les paquets, sans qu’on sût quelle main charitable les lui donne (1). J’avais fait prier Merlin de m’envoyer des livres dont j’avais besoin, il n’en a tenu compte. Comment se porte mon frère ?

 

 

1 – Voltaire commence ici à organiser sa propagande clandestine. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. l’abbé Arnaud.

 

Château de Ferney, 26 Juillet 1763 (1).

 

 

          Personne ne s’intéresse plus que moi à votre journal (2), et j’ose dire à votre personne. Je sais que vous aimez les lettres autant que vous leur faites honneur. Une aussi grande entreprise que la vôtre demandait la protection d’un homme comme M. le duc de Praslin.

 

          Vous rendrez un véritable service à la littérature, tandis que d’autres ne cherchent qu’à l’avilir et à la rendre aussi ridicule qu’ils le sont eux-mêmes.

 

          Permettez que je ne vous sépare point de M. Suard, et que je vous présente, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – La Gazette littéraire. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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