CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 21

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 21

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à M. Damilaville.

 

Juin 1763.

 

 

          Avez-vous reçu, mon cher ami, les trois feuilles ? En voulez-vous d’autres ? M. Merlin m’envoie-t-il ce que je lui ai demandé par le coche ? Thieriot doit-il beaucoup ? Les loups hurlent-ils contre l’Histoire générale ? J’ai lu, il y a longtemps, les prétendues Richesses de l’Etat. L’auteur est un parent de Gribouille : il propose de donner sept cent cinquante millions au lieu de trois cents, pour nous soulager. Faites-moi l’amitié d’envoyer cette lettre à mon ami Marmontel, et qu’ensuite notre Platon revivifie notre Académie.

 

 

 

 

 

à M. Marmontel.

 

19 Juin 1763.

 

 

          Tout ce que je peux vous dire, mon cher ami, c’est que le droit des gens s’accommode peu de l’infidélité de la poste. On saisit un livre, passe encore ; mais saisir la lettre qui l’accompagne ! se rendre maître du secret des particuliers, comme si nous étions dans une guerre civile ! cela n’est pas dans l’Esprit des Lois. Voilà, encore une fois, ce que nous a valu Jean-Jacques avec sa Lettre à Christophe. Ce polisson insolent gâte le métier. Il semble qu’on ne cherche qu’à rendre la philosophie ridicule.

 

          Je n’ai laissé imprimer Olympie qu’en faveur d’une petite note sur les grands-prêtres, qu’on aura sans doute retranchée à Paris. Je voudrais vous faire parvenir deux exemplaires d’un Extrait de Jean Meslier ; cet ouvrage m’a toujours frappé. Il est nécessaire qu’il soit connu, et vous pourriez le mettre en bonnes mains. Il faut servir la raison autant qu’on le peut ; c’est notre reine, et elle a encore bien des ennemis à Paris. Elle s’est formé beaucoup de sujets dans le pays où je suis, parce qu’on y a plus le temps de penser. Je tâcherai de vous envoyer Jean Meslier par voie bien sûre.

 

          Manco-Capac est un étrange nom pour un héros de tragédie ; Mahomet est plus sonore. C’est pure malice à vous de ne rien faire pour le théâtre ; on ne peut en parler mieux que vous faites dans votre excellent livre de la Poétique. Je vous dis que vous ferez des tragédies dignes de votre Poétique, quand il vous plaira. Je vous parlais fort au long de votre Poétique, dans ma lettre tombée entre les mains des ennemis. Je vous remerciais surtout d’avoir rendu justice à Quinault, dont on n’a pas assez connu le mérite.

 

          Je hais Rousseau, je parle du poète ; ce malheureux a fini par faire de mauvais vers contre la philosophie. Adieu ; vous ne tomberez jamais dans ce péché infâme, et je vous aimerai toujours.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

19 Juin 1763

 

Quelqu’un ayant dit que l’extinction des jésuites rendrait la France heureuse, quelqu’un ayant répondu que pour compléter son bonheur il fallait se défaire des jansénistes, quelqu’un se mit à dire ce qui suit :

 

 

Les renards et les loups furent en guerre :

Les moutons respiraient ; des bergers diligents

Ont chassé par arrêt les renards de nos champs :

Les loups vont désoler la terre.

Nos bergers semblent, entre nous,

Un peu d’accord avec les loups.

 

 

          Je vous demande pardon, mon cher frère, de vous avoir demandé si on payait cette année le troisième vingtième ; j’ai su qu’on le payait, et je trouve cela très juste, car il faut acquitter les dettes de l’Etat. Tout bon citoyen doit penser ainsi.

 

          Que fait frère Thieriot ? Vous verrai-je ? Ecrasez l’infâme.

 

          Vous noterez qu’Omer a gardé madame de Lauraguais pendant sa petite-vérole, quoiqu’il ne la gardât pas par état, et qu’il a fait des vers dignes de sa prose en faveur de l’inoculation. Je les aurai ces beaux vers, et nous rirons, mes frères.

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, le 22 Juin 1763.

 

 

          Si je pouvais rire, monseigneur le grand médecin, ce serait de voir maître Omer de Fleury usurper vos droits, et se mêler de l’inoculation en plein parlement, sans vous avoir consulté. Cet ennemi de l’inoculation a pourtant gardé madame de Forcalquier, et fait des vers pour Tronchin, non pas le fermier-général, mais Tronchin l’inoculateur. Vous me direz que ces vers valent sans doute sa prose ; et vous aurez raison. Mais avouez qu’il est plaisant de voir le parlement donner un arrêt contre la petite-vérole. Il est bien clair que la faculté de médecine sera contre l’inoculation, et que la sacrée faculté sera de l’avis de l’autre. Tout le monde viendra se faire inoculer à Genève ; il faudra agrandir la ville.

 

          Je crois que madame la comtesse d’Egmont a eu la petite-vérole ; c’est bien dommage ; sans cela nous l’inoculerions, et nous lui donnerions des fêtes. Je voudrais bien, pour la rareté du fait, voir, avant de mourir, M. le maréchal amener sa fille dans notre pays huguenot. Le bruit a couru que vous alliez troquer votre gouvernement de Guyenne contre celui de Languedoc ; c’était une grande joie chez toutes les parpaillotes. Cependant il paraît que votre nation n’est pas si aimable que vous ; elle est toute rassotée de vos lits de justice, de vos parlements, qui ne veulent pas obtempérer.

 

          Je ne sais quelle maligne influence est tombée sur ce pauvre peuple ; mais il m’est avis qu’il est sorti de son élément, qui était la gaieté. Pour moi, il est vrai que je suis aussi dérouté que la nation ; mais je suis vieux, aveugle, et sourd ; et ces petits agréments ne rendent pas un homme excessivement folâtre. Il n’appartient qu’aux héros d’être toujours gais ; vous le serez quand vous aurez mon âge, et fort au-delà. Avec de la santé, de la gloire, de grands établissements, de l’esprit, des amis, on peut se livrer tout naturellement à une joie honnête.

 

          Vous protégez donc de près mademoiselle d’Epinay ; cela dit qu’elle est buona robba, mais cela ne dit pas qu’elle est bonne actrice. Qu’elle soit ce qu’il vous plaira, j’obéis à vos ordres de grand cœur.

 

          Je me prosterne devant votre force permanente, et devant vos agréments toujours nouveaux, devant votre esprit aussi sensé que gai, qui met aux choses, leur véritable prix, et qui sait très bien que la vie n’est qu’un pèlerinage qu’il faut semer de coquilles et de fleurs. Ma philosophie est la très humble servante de la vôtre.

 

Ed intanto la riverisco sommamente con ogni ossequio.

 

 

 

 

 

à M. de La Chalotais.

 

A Ferney, 22 Juin 1763.

 

 

          Monsieur, j’ai reçu enfin, et j’ai dévoré votre excellent Traité de l’Education. Autrefois le triste emploi d’instruire la jeunesse était méprisé des honnêtes gens, et abandonné aux pédants, et, qui pis est, aux moines. Vous donnez envie d’être régent de physique et de rhétorique ; vous faites de l’institution des enfants un grand objet de gouvernement. Pourquoi ne tirerait-on pas du sein de nos Académies les meilleurs sujets qui voudraient se consacrer à des emplois devenus par vous si honorables ? Mais il faudrait Michel de L’Hôpital, ou M. de La Chalotais, pour chancelier.

 

          Il vient d’arriver à Genève des ballots de votre livre ; il est lu et admiré. Genève croira que je vaux quelque chose, en voyant comme vous avez daigné parler de moi. C’est là tout ce qu’on pourra critiquer dans votre livre. Il me semble, à l’empressement que tous les pères de famille ont à vous lire qu’on sera bientôt obligé de faire ici une nouvelle édition, quoiqu’on ait fait venir de France une grande quantité d’exemplaires ; en ce cas, je vous demanderai les additions dont vous voudrez embellir votre ouvrage.

 

          Ne voudriez-vous pas dire, en parlant des vingt-cinq ans que mettrait un boulet de canon à parcourir l’espace qui s’étend de notre globe au soleil, que c’est en supposant la vitesse toujours égale ? c’est une bagatelle. Je me conformerai exactement à tous vos ordres.

 

          Vous donnez de beaux exemples en plus d’un genre au parquet de Paris. On prétend que maître Omer de Fleury ne les a pas suivis en faisant son réquisitoire contre l’inoculation.

 

          J’ai peur que le gouvernement ne soit si embarrassé de la peine qu’auront tant d’hommes faits à payer les impôts, qu’il ne pourra donner à l’éducation des enfants l’attention qu’elle mérite.

 

Curtæ nescio quid semper abest rei.

 

HOR., liv. III, od. XXIV.

 

 

C’est assurément ce qu’on ne dira pas de votre livre, quoiqu’on le trouve trop court.

 

          Agréez, monsieur, le respect, l’attachement, et la reconnaissance de votre très humble, etc.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

23 Juin 1763 (1).

 

 

          Mes divins anges, je ne savais pas que les auteurs de la feuille (2) que vous protégez sont ceux-là mêmes qui sont chargés de la Gazette.

 

          Est-ce pour se moquer de La Condamine qu’ils ont inséré son appel à la nation britannique à l’occasion de deux shellings ? Certes cette aventure est importante. Quoi qu’il en soit, on ne m’a pas envoyé une seule feuille de la Gazette littéraire, et j’ai toujours peur de déplaire en servant.

 

          Permettez que je vous adresse cette lettre à cachet volant pour frère Damilaville. Je ne vous parle point du contenu, pour ne pas faire un double emploi.

 

          Il me vient bien des idées : je crois que j’ai un bien beau sujet (3) ; mais je suis si vieux ! Il faudra que vous m’échauffiez.

 

          Respect et tendresse.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Le Journal étranger. (G.A.)

3 – Le Triumvirat. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

23 Juin 1763.

 

 

          Mon cher frère, vous m’annoncer par votre lettre du 18 que Robin-Mouton débite, contre la foi des traités, le tome de l’Histoire générale avec les feuilles qui ne doivent pas y être. J’en ai parlé à Gabriel Cramer, qui jure Dieu et Servet qu’il n’a envoyé aucun exemplaire à Robin-Mouton. Si ce Robin-Mouton a acheté de Merlin, par quelque colporteur aposté, les exemplaires impurs et s’il les vend, il faut l’écorcher, ou du moins il faut lui faire peur. Mais que puis-je faire ? je crois qu’il ne me convient que de me taire, et m’en rapporter à M. d’Argental. Au reste, tout ce que j’ai souhaité, c’est que mon nom ne parût pas ; car, en vérité, il m’importe assez peu que le livre  soit condamné ou non. On a tant brûlé de livres bons ou mauvais, tant de mandements d’évêques, tant d’ouvrages dévots ou impies, que cela ne fait plus la moindre sensation. Les livres deviennent ce qu’ils peuvent. Je n’ai travaillé à cette nouvelle édition que pour faire plaisir aux frères Cramer ; je n’y ai pas le plus léger intérêt : mais pour la personne de l’auteur, c’est autre chose. Je ne voudrais pas être obligé de désavouer mon ouvrage, comme Helvétius. On ne peut jamais procéder que contre le livre, et contre l’auteur, quel qu’il soit. On désignera, si on veut, un quidam. On ordonnera des recherches. On n’en fera pas à Ferney, ni aux Délices. Pourquoi d’ailleurs en faire ? parce qu’on a réimprimé dans une Histoire générale la lettre de Damiens (1), imprimée par le parlement même ! Dira-t-on que cette lettre fait soupçonner que les discours de la grand’salle tournèrent la tête de Damiens ? Ne l’a-t-il pas avoué ? cela n’est-il pas formellement dans son procès-verbal ? Le parlement a fait imprimer cet aveu de Damiens ; et moi, je n’ai pas dit un seul mot qui pût jeter le moindre soupçon sur aucun membre du parlement. Il faudra donc chercher d’autres motifs de condamnation. Or, si on cherche d’autres motifs, pourquoi irai-je parler dans les papiers publics de la lettre de Damiens, qui ne peut être l’objet de la censure qu’on peut faire ? Il me semble que cette démarche de ma part ne servirait qu’à réveiller des idées qu’il faut assoupir. De plus, je m’avouerais l’auteur de l’ouvrage, et, en ce cas, je fournirais moi-même des armes à la malignité : ce serait prier ceux qui voudraient me nuire de me condamner juridiquement sous mon propre nom.

 

          En voilà trop, mon cher frère, sur une chose qui n’aurait pas fait le moindre bruit, si l’esprit de parti ne faisait pas des monstres de tout. Je vous embrasse vous et nos frères. Ecr. l’inf…

 

          Permettez que je vous adresse cette lettre (2) pour M. Mariette. Il est bien étrange que M. le procureur-général de Toulouse n’ait pas encore envoyé les pièces quand le terme est expiré.

 

 

1 – Voyez le chapitre XXXVII du Précis du Siècle de Louis XV. (G.A.)

2 – On n’a pas cette lettre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Colini.

 

28 Juin 1763.

 

 

          Mon cher ami, je ne puis trop vous remercier de vos instructions sur les monnaies de Rome. Il me serait fort doux de chercher avec vous de vieilles vérités dans votre bibliothèque électorale. Mais l’âge avance, la faiblesse augmente, et probablement je ne vivrai et ne mourrai ailleurs que chez moi. La médaille de Jules III n’est pas modeste, mais je voudrais qu’on eût mis au revers : IL RAGAZZO SUO BARDAZZA COLLA SCIMIA. Addio, caro. Je vous écrirai plus au long quand j’aurai de la santé et du loisir, deux choses qui me manquent.

 

 

 

 

 

 

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