CORRESPONDANCE - Année 1763 -Partie 2

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1763 -Partie 2

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à M. l’abbé d’Olivet.

 

A Ferney, à quelques lieues de votre patrie, 12 Janvier 1763.

 

 

          Mon cher et gros et respectable sous-doyen, soyez très sûr que je mets en pratique vos belles et bonnes leçons. Je n’ai pas votre santé, je n’en ai jamais eu ; mais mon régime est la gaieté. Votre doyen (1) peut me rendre témoignage ; c’est lui qui donnerait des leçons de gaieté à vous et à moi. Je l’ai trouvé plus jeune que je l’avais laissé. Vivez cent ans, messieurs les doyens, et donnez-moi votre recette. Vos séances académiques vont être plus agréables que jamais avec l’abbé de Voisenon, qui est très aimable et très gai. Je vous réjouirai, dès que les grands froids seront passés, par l’envoi de l’Héraclius espagnol ; il est bien plus plaisant que le César anglais. Qui croirait que deux nations si graves furent si bouffonnes dans la tragédie ? Nous sommes au septième tome de Pierre Corneille, et il y en aura probablement douze ou treize. J’ai été sur le point de faire un ouvrage qui m’aurait plu autant que Cinna, c’était le mariage de mademoiselle Corneille ; mais comme le futur ne fait point des vers, le mariage a été rompu. Si vous connaissez quelque neveu de Racine, envoyez-le moi au plus vite, et nous conclurons l’affaire. Mais je veux que vous soyez de noces ; et comme je vous crois prêtre, vous ferez la célébration. Je vous avertis que notre petit jardin est la plus jolie chose du monde. Tout le monde y vient, tout le monde s’y établit. Le prince de Wurtemberg a tout quitté pour venir s’établir dans le voisinage ; vous n’êtes pas assez courageux pour revoir votre patrie. Fi ! que cela est peu philosophe ! C’est avec douleur que je vous embrasse de si loin ; seriez-vous assez aimable pour présenter mes respects à l’Académie ?

 

 

1 – Richelieu. Il faut peut-être lire « notre » au lieu de « votre ». (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argence de Dirac.

 

A Ferney, 14 Janvier 1763.

 

 

          Mon cher philosophe, vous m’envoyez  toujours des pâtés farcis de truffes. Vous êtes un philosophe faisant bonne chère, et voulant qu’on la fasse : vous jugez avec raison que nous avons besoin, dans notre pays de glaces, du souvenir des seigneurs de vos beaux climats.

 

          Savez-vous que j’ai reçu une lettre de quatre dames d’Angoulême ? Je n’ai pas l’honneur de les connaître ; mais je n’en suis que plus flatté de leurs bontés ; elles ne signent point leurs noms ; elles m’ordonnent d’adresser ma réponse à madame la marquise de Théobon. Que puis-je leur répondre ? c’est jouer à colin-maillard.

 

 

Quatre beautés font tout mon embarras ;

De faire un choix mon âme est occupée :

Qu’eût fait Pâris en un semblable cas ?

En quatre parts la pomme il eût coupée.

 

 

          Si vous voulez leur donner cette réponse ou cette excuse, c’est assez pour un vieux malade qui ne ressemble point du tout à Pâris.

 

          On va juger à Paris le procès de Calas : cela intéresse l’humanité tout entière. On a pendu un ex-jésuite (1) pour avoir dit des sottises ; cela n’intéresse que la pauvre société de Jésus.

 

          Bonsoir, monsieur ; sans les neiges et votre absence, mon château, l’œuvre de mes mains, serait un charmant séjour. Je suis à vous bien tendrement pour jamais.

 

 

1 – Ringuet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le président de Ruffey.

 

A Ferney, 14 Janvier 1763.

 

 

          Je ne vous écris point de ma main, mon cher président, parce que je suis malingre, à mon ordinaire ; mais mon cœur vous écrit : il est pénétré de vos bontés. Je vois qu’il vous est dû quelque argent que vous avez bien voulu avancer pour moi. J’ai mandé à mon banquier de Lyon, M. Camp, de vous le faire rembourser par son correspondant de Dijon. Pour moi, je vous le rembourse par mille remerciements.

 

          Je me mêle peu du temporel de Corneille : je ne suis que pour le spirituel. Je crois qu’il y a dans votre capitale de Bourgogne un libraire correspondant des Cramer pour les souscriptions ; c’est tout ce que j’en sais.

 

          Je vous remercie de votre nouvelle liste : je vois avec grand plaisir que le nombre et le mérite de vos académiciens augmentent tous les jours : c’est votre ouvrage, et je n’en suis pas étonné.

 

          Malgré les neiges qui me gèlent, et une bonne fluxion sur les deux yeux, je vous dirai que celui qui se proposait pour épouser mademoiselle Corneille était M. de Cormon, capitaine de cavalerie, fils du commissaire des guerres de Châlons. Je donnais une dot honnête, mais le commissaire ne donnait rien du tout ; et la raison sans dot n’a pas réussi.

 

          Je vous embrasse bien tendrement.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

17 Janvier 1763.

 

 

          Voyez, mes anges, si ceci vous amusera, et s’il amusera M. le duc de Praslin. Les laquais des Français et des Anglais, ou bien des Anglais et des Français, qui sont à Genève, ont voulu donner un bal aux filles en l’honneur de la paix. Les maîtres ont prodigué l’argent ; on a fait des habits magnifiques, des cartouches aux armes de France et d’Angleterre, des fusées, des confitures : on a fait venir des gélinottes et des violons de vingt lieues à la ronde, des rubans, des nœuds d’épaule, et vivent MM. les ducs de Praslin et de Bedford ! dessinés dans l’illumination d’un beau feu d’artifice. Les perruques carrées de Genève ont trouvé cela mauvais ; elles ont dit que Calvin défendait le bal expressément ; qu’ils savaient mieux l’Ecriture que M. le duc de Praslin ; que d’ailleurs pendant la guerre ils vendaient plus cher leurs marchandises de contrebande : en un mot, toutes les dépenses étant faites, ils ont empêché la cérémonie.

 

          Alors la bande joyeuse a pris un parti fort sa ge : vous allez croire que c’est de mettre le feu à la ville de Genève, point du tout ; les deux partis sont allés célébrer leur orgie sur le territoire de France (il n’y a pas bien loin). Cela ne vous paraîtra peut-être pas si agréable qu’à nous ; mais nous sommes de ces gens sérieux que les moindres choses amusent.

 

          Je me flatte que mes anges ont reçu mon testament en faveur de mademoiselle d’Epinay (1), par lequel je lui donne et lègue les rôles d’Acanthe et de Nanine. Si elle veut encore celui de Lise, dans l’Enfant prodigue, je le lui donne par un codicille, révoquant à cet effet tous les testaments antérieurs.

 

          Qu’est-ce que c’est que le vieux Dupuis (2) ? On dit que la pièce est de Collé. Si cela est, elle doit être extrêmement gaie, comme toute honnête comédie doit l’être ; car, pour les comédies où il n’y  a pas le mot pour rire, c’est une infamie que je ne pardonnerai jamais à cette folle de Quinault (3), qui mit à la mode ce monstre si opposé à son caractère.

 

          Dieu vous ait, mes bons anges, en sa sainte et digne garde ! Respect et tendresse.

 

 

1 – Voyez au 23 Décembre. (G.A.)

2 – Dupuis et Desronais, comédie en trois actes et en vers libres de Collé. Elle fut jouée le jour même, 17 Janvier. (G.A.)

3 – Voyez notre Notice sur les Originaux. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte Algarotti.

 

A Ferney, 17 Janvier 1763.

 

 

          Mon cher cygne de Padoue, si le climat de Bologne est aussi dur et aussi froid que le mien pendant l’hiver, vous avez très bien fait de le quitter pour aller je ne sais où ; car je n’ai pu lire l’endroit d’où vous datez, et je vous écris à Venise, ne doutant pas que ma lettre ne vous soit rendue où vous êtes. Pour moi, je reste dans mon lit comme Charles XII, en attendant le printemps. Je ne suis pas étonné que vous ayez des lauriers dans la campagne où vous êtes ; vous en feriez naître à Pétersbourg.

 

          En relisant votre lettre, et, en tâchant de la déchiffrer, je vois que vous êtes à Pise, ou du moins je crois le voir. C’est donc un beau pays que Pise ? Je voudrais bien vous y aller trouver ; mais j’ai bâti et planté en Laponie ; je me suis fait Lapon, et je mourrai Lapon.

 

          Je vous enverrai incessamment le deuxième tome du Czar Pierre. Je me suis d’ailleurs amusé à pousser l’Histoire générale jusqu’à cette paix dont nous avions tant besoin. Vous sentez bien que je n’entre pas dans le détail des opérations militaires ; je n’ai jamais pu supporter ces minuties de carnage. Toutes les guerres se ressemblent à peu près : c’est comme si on faisait l’histoire de la chasse, et que l’on supputât le nombre des chiens mangés par les loups. J’aime bien mieux vos lettres militaires, où il s’agit des principes de l’art. Cet art est, à la vérité, fort vilain ; mais il est nécessaire. Le prince Louis de Wurtemberg, que vous avez vu à Berlin, a renoncé à cet art comme au roi de Prusse, et est venu s’établir dans mon voisinage. Nous avons des neiges, j’en conviens ; mais nous ne manquons pas de lois. On a des théâtres chez soi, si on en manque à Genève ; on fait bonne chère ; on est le maître de son château ; on ne paie de tribut à personne : cela ne laisse pas de faire une position assez agréable. Vous qui aimez à courir, je voudrais que vous allassiez de Pise à Gênes, de Gênes à Turin, et de Turin dans mon ermitage ; mais je ne suis pas assez heureux pour m’en flatter.

 

          Buona notte, caro cigno di Pisa !

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

A Ferney, 20 Janvier 1763.

 

 

          J’envoie à mes anges la copie d’une lettre d’une grave et honnête religieuse de Toulouse. Cette lettre me paraît bien favorable pour nos pauvres Calas ; et quoique la religieuse avoue que mademoiselle Calas sera damnée dans l’autre monde, elle avoue qu’elle et toute sa famille méritent beaucoup de protection dans celui-ci.

 

          Il y a longtemps que mes anges ne m’ont parlé de cette importante affaire ; j’ose espérer que la révision sera incessamment accordée. Si mes anges veulent avoir la bonté de m’envoyer les chansons du roi David, traduites par ce Laugeois, ci-devant directeur des fermes, je lirai avec componction les Psaumes pénitentiaux, attendu que je suis malade.

 

          Je ne sais point de nouvelles du tripot ; j’ignore s’il y a des tragédies, des comédies nouvelles : mes anges m’abandonnent. Peut-être aurai-je demain la consolation de recevoir une de leurs lettres. En attendant, je baise le bout de leurs ailes avec toute l’humilité possible, et j’ai toujours pour eux le culte de dulie. Savez-vous ce que c’est que le culte de dulie, mes anges ?

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

21 Janvier 1763 (1).

 

 

          J’envoie à mes frères la copie de la lettre d’une bonne religieuse ; je crois cette lettre bien essentielle à notre affaire. Il me semble que la simplicité, la vertueuse indulgence de cette nonne de la Visitation condamnent terriblement le fanatisme sanguinaire des assassins en robe de Toulouse.

 

          Je demande pardon à mon frère de m’être trompé sur une brochure qu’il avait eu la bonté de m’envoyer (2). Il ne m’annonçait pas le titre qu’un discours d’un M. Rouxelin. Je n’eus pas le temps de le lire, et je ne m’aperçus pas qu’il était suivi du discours de M. de Beaumont. Je répare ma faute, je le lis et je vais remercier l’auteur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Le discours de Beaumont sur la Population. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Elie de Beaumont.

 

A Ferney, 21 Janvier 1763.

 

 

          Notre ami commun, M. Damilaville, m’avait envoyé, monsieur, votre très beau et très solide discours, et je ne croyais pas l’avoir. Le titre m’avait trompé ; je viens enfin de m’apercevoir de mon erreur. J’ai vu votre nom à la trente-cinquième page, et je vous ai lu avec un plaisir extrême. Tout célibataire que je suis, j’avoue que vous faites très bien de prêcher le mariage ; je suis aussi fort de votre avis sur les défrichements. Je me suis avisé de défricher, ne m’étant pas avisé de peupler ; mais voici comme je m’y suis pris. J’ai assemblé les propriétaires des terres abandonnées, et je leur ai dit : Mes amis, je vais défricher à mes frais, et quand la terre sera en valeur, nous partagerons.

 

          Je n’ai point fait de citoyens, mais j’ai fait de la terre.

 

          Je me flatte, monsieur, que vous serez célèbre pour avoir fait une bien meilleure action, pour avoir fait rendre justice à l’innocence opprimée et rouée. Vous avez vu, sans doute, la lettre de la religieuse de Toulouse ; elle me paraît importante ; et je vois avec plaisir que les sœurs de la Visitation n’ont pas le cœur si dur que messieurs. J’espère que le conseil pensera comme la dame de la Visitation.

 

          Si vous voyez M. de Cideville, je vous prie de lui dire combien je l’aime. C’est un sentiment que vos ouvrages m’inspirent pour vous, qui se joint bien naturellement à l’estime infinie avec laquelle j’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

 

 

 

 

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