CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 16

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 16

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à M. Colini.

 

Aux Délices, 3 Mai 1763.

 

 

          Je vous prie instamment d’envoyer sur-le-champ, par la poste, un exemplaire d’Olympie à son éminence monseigneur le cardinal de Bernis, à Soissons. Vous me ferez très grand plaisir, mon cher historiographe.

 

          Etes-vous à Schwetzingen ? êtes-vous à Manheim ? pour moi, je suis au coin de mon feu, n’en pouvant plus.

 

 

 

 

 

à M. le marquis Albergati Capacelli.

 

Aux Délices, 5 Mai 1763.

 

 

          Le pauvre vieux malade a reçu, monsieur, des bouteilles de vin dont il vous remercie, et dont il boira, s’il peut jamais boire ; il y a aussi des saucissons dont il mangera, s’il peut manger : il est dans un état fort triste, et ne peut guère actuellement parler ni de vers ni de saucissons. Vraiment, monsieur, vous me faites bien de l’honneur de vous regarder comme mon fils ; il est vrai que je me sens pour vous la tendresse d’un père, et que de plus j’ai l’âge requis pour l’être.

 

          N’attribuez, monsieur, qu’à ma vieillesse si je ne me souviens pas du P. Pacciaudi ou Pacciardi ; je n’ai pas la mémoire bien fraîche et bien sûre. Il se peut faire que j’aie eu l’honneur de voir ce théatin ; mais je prie son ordre de me pardonner, si je ne m’en souviens pas.

 

          Rien ne peut égaler l’honneur que vous et vos amis m’avez daigné faire en traduisant quelques-uns de mes faibles ouvrages, et rien ne peut diminuer à mes yeux le mérite des traducteurs, ni affaiblir ma reconnaissance.

 

          Comme l’état où je suis ne me permet d’écrire, que très rarement, et encore par une main étrangère, je n’entretiens pas un commerce fort suivi avec notre cher Goldoni ; mais j’aime toujours passionnément ses écrits et sa personne. J’imagine qu’il restera longtemps à Paris, où son mérite doit lui procurer chaque jour de nouveaux amis et de nouveaux agréments. Mais, quand il retournera dans la belle Italie, je le supplierai de passer par notre ermitage ; nous aurons le plaisir de nous entretenir de vous. Il vous portera, monsieur, mon respect extrême pour votre personne, et mes regrets de mourir sans avoir eu la consolation de vous voir.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

7 Mai 1763.

 

 

          Les choses changent, mon cher frère, selon les temps. Par le dernier ordinaire, je souhaitais le débit de l’Histoire générale, et par celui-ci je souhaite qu’on enferme tout sous quatre clefs jusqu’à nouvel ordre. Le président de Meynières et l’abbé de Chauvelin prétendent qu’on m’a fourni quelques fausses dates et quelques faits peu exacts sur les affaires du parlement, quoique ces dates et ces faits soient d’après les Nouvelles ecclésiastiques (1), dont assurément le parlement ne doit pas être mécontent.

 

          Il faut donc attendre les mémoires qu’on doit m’envoyer ; c’est pour le moment présent le seul parti que j’aie à prendre.

 

          Je vous écris très à la hâte, et je vous réitère ma prière à propos du paquet de M. le comte de Bruc (2). Ecr. l’inf.

 

 

1 – Journal janséniste, autrement dit Gazette ecclésiastique. (G.A.)

2 – Voyez la lettre du 9 Mai à Damilaville. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Rousseau.

 

Aux Délices, 8 Mai 1763.

 

 

          La plus petite de toutes les méprises imprimées, et la moins importante, et l’honneur qu’on me fait, dans le Journal encyclopédique du mois de mars 1763, d’avoir reçu de madame l’archiduchesse des bouts rimés à remplir. Je n’ai, Dieu merci, ni reçu cet ordre, ni fait ces bouts rimés. Cependant, comme il faut obéir aux princesses, quelque vieux qu’on soit, je déclare que je ferai de mauvais bouts rimés, quand leurs altesses impériales l’ordonneront positivement.

 

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

8 Mai 1763.

 

 

          Ange exterminateur, celui qui vous appelait furie avait bien raison. Vous êtes mon berger, et vous écorchez votre vieux mouton. Voici les derniers bêlements de votre ouaille misérable.

 

 

1°/ Vous voulez qu’on imprime la médiocre Zulime au profit de mademoiselle Clairon : très volontiers, pourvu qu’elle la fasse imprimer comme je l’ai faite. Je doute qu’elle trouve un libraire qui lui en donne cent écus ; mais je consens à tout, pourvu qu’on donne l’ouvrage tel que je l’ai envoyé en dernier lieu.

 

2°/ Voulez-vous supprimer l’édition de Olympie, ou en faire imprimer une autre, en adoucissant quelques passages sur ce détestable grand-prêtre Joad, et le tout au profit de mademoiselle Clairon ? de tout mon cœur, avec plaisir assurément.

 

3°/ L’Histoire générale est peut-être un peu plus sérieuse. Le parlement sera irrité ; de quoi ? de ce que j’ai dit la vérité. Le gouvernement ne me pardonnera donc pas d’avoir dit que les Anglais ont pris le Canada, que j’avais, par parenthèse, offert, il y a quatre ans, de vendre aux Anglais ; ce qui aurait tout fini, et ce que le frère de M. Pitt m’avait proposé. Mais laissons là le Canada, et parlons des iroquois qui me feraient brûler pour avoir laissé entrevoir un air d’ironie sur des choses très ridicules.

 

          Entre nous, y aurait-il rien de plus tyrannique et de plus absurdes que d’oser condamner un homme pour avoir représenté le roi comme un père qui veut mettre la paix entre ses enfants (1) ? Voilà le précis de toute la conduite du roi. J’ai rendu gloire à la vérité, et cette vérité n’a point été souillée par la flatterie. La cour peut ne m’en pas savoir gré ; mais, de bonne foi, le parlement ferait-il une démarche honnête de rendre un arrêt contre un miroir qui le montre à la postérité ? miroir qu’il ne cassera pas, et qui est d’un assez bon métal. Ne saura-t-on pas que c’est la vérité qui l’a indisposé personnellement ? et quand il condamnera le livre en général, quel homme ignorera qu’il n’a vengé que des prétendues injures particulières ? Je n’ai d’ailleurs rien à craindre du parlement de Paris, et j’ai beaucoup à m’en plaindre. Il ne peut rien ni sur mon bien ni sur ma personne. Ma réponse est toute prête, et la voici :

 

          Il y avait un roi de la Chine qui dit un jour à l’historien de l’Etat : Quoi ! vous voulez écrire mes fautes ? Sire, répondit le griffonnier chinois, mon devoir m’oblige d’aller écrire tout à l’heure le reproche que vous venez de me faire.

 

          Eh bien donc, dit l’empereur, allez, et je tâcherai de ne plus faire de fautes, etc., etc.

 

          Mais s’il est vrai que j’aie altéré des faits et des dates, j’ai beaucoup d’obligation à M. l’abbé de Chauvelin et à M. le président de Meynières. Ces dates et ces faits ont été pris dans tous les journaux du temps, et même dans la Gazette ecclésiastique, qui certainement n’a pas eu envie de déplaire au parlement. J’attends avec empressement l’effet des bontés de M. de Meynières et de Chauvelin, et je corrigerai les chapitres concernant les billets de confession et la cessation de la justice. J’avoue que j’aurai bien de la peine à louer ces deux choses ; elles me paraissent absurdes, comme à toute la terre. Je m’en rapporte à votre ami M. le duc de Praslin ; je m’en rapporte à vous, mes anges. Vous savez votre histoire de France ; il y a eu des temps plus funestes ; mais y en-t-il eu de plus impertinents ? Je voudrais que vous fussiez aux Délices ; oui assurément, je le voudrais ; vous y verriez des Anglais, des Tudesques, des Polacres, des Russes ; vous verriez comme l’Europe la traite ; vous me trouveriez le plus circonspect de tous les hommes dans la manière dont j’ai parlé de vos belles querelles.

 

          A l’égard du czar Pierre 1er, vous en usez avec moi précisément comme le docteur Tronchin avec madame Denis : elle lui a demandé quatre pilules de moins, et il lui fait prendre quatre pilules de plus. Mais, mes divins anges, quand un livre est lâché dans l’Europe, il n’y a plus de remède. Je griffonne, Cramer imprime, bien ou mal, et il fait ses envois sans me consulter. Je n’ai assurément aucun intérêt à la chose, je n’en ai que la peine. Qu’on supprime ses livres à Paris, c’est son affaire. Pourquoi ne vous a- t-il pas fait présenter le premier exemplaire ?

 

          Voilà M. de Thibouville qui m’envoie vraiment de beaux projets pour Olympie : c’est bien prendre son temps.

 

          Ma conclusion est que je vous suis très obligé de me procurer les remarques de MM. de Meynières et de Chauvelin. La vérité, que je préfère à tout, me les fera adopter sur-le-champ. Mais je vous jure que la crainte de tous les parlements du royaume ne me ferait pas altérer un fait vrai ; de même que les trois états du royaume assemblés ne m’empêcheraient pas de vous aimer.

 

          Ne me faites par peur des parlements, je vous en prie ; car je ne tiens en nulle manière à mes terres au bout de la Bourgogne. Je vais vendre tout ce que j’ai en France dont je peux disposer ; j’enverrai ma nièce avec M. et madame Dupuits à Paris : le parlement ne saisira pas ce que je lui aurai donné, et il m’en restera assez pour vivre et pour mourir libre, et même pour aller mourir dans un pays plus chaud que le mont Jura et les Alpes, dont la neige me rend aveugle six mois de l’année.

 

          Mes anges, tout diables que vous êtes, je suis sous vos ailes à la vie et à la mort.

 

 

1 – « Dans ces troubles, avait-il écrit, Louis XV était comme un père occupé de séparer ses enfants qui se battent. » (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argence de Dirac.

 

8 Mai 1763 (1).

 

 

          C’est beaucoup, mon cher adepte, d’avoir ôté, comme vous avez fait, toutes les mauvaises herbes qu’on avait voulu faire croître dans votre jardin ; on y sème ensuite ce qui paraît le plus convenable. C’est un grand point d’avoir secoué le joug de l’erreur et de savoir bien positivement ce qui n’est pas. On peut tranquillement ignorer alors ce qui est, et s’en tenir au plus vraisemblable, jouir doucement de la vie et attendre la mort sans crainte.

 

          Je suis très affligé de l’interruption de votre voyage et des raisons qui vous ont retenu. Je me serais fait un plaisir bien sensible de vous embrasser, et de raisonner avec vous de philosophie. Si vous voulez y joindre un peu de physique, je vous supplierai d’y joindre votre remède pour les bœufs malades. Si vous avez aussi quelque secret pour la vieillesse et pour la faiblesse, je vous prie d’en gratifier un vieillard qui vous aime de tout son cœur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville

 

9 Mai 1763.

 

 

          C’est pour vous confirmer, mon cher frère, que je ne peux me dispenser d’attendre les remarques que M. d’Argental a eu la bonté de me promettre de la part de M. le président de Meynières et de M. l’abbé de Chauvelin. Je dois certainement attendre ces remarques et y déférer ; ils sont instruits, et ils veulent bien m’instruire : c’est à moi de profiter de leurs lumières, et de les remercier. L’enchanteur Merlin (1) n’a donc qu’à tenir bien renfermés tous les grimoires que les frères Cramer lui ont envoyés : il n’y perdra rien ; on pourra même, pour plus de facilité, imprimer à Paris les deux chapitres qu’il faudra corriger. Il serait bon que le nom de ce Merlin fût absolument ignoré de tout le monde ; il faut qu’il soit le libraire des philosophes : cette dignité peut mener un jour à la fortune ou au martyre ; ainsi il doit être invisible comme les rose-croix.

 

          Plus je vieillis, et plus je deviens implacable envers l’infâme ! quel monstre abominable ! J’embrasse tendrement tous les frères.

 

          Dites-moi, je vous en conjure, des nouvelles du paquet que je vous ai adressé pour M. le comte de Bruc ; si vous ne l’avez pas reçu, il est important que vous le redemandiez, et M. Janel vous le fera remettre sans doute en payant M. d’Alembert ne vous a-t-il pas fait remettre six cents livres ? Je crois que je vous en dois davantage pour le paiement des livres que vous avez eu la bonté de me faire avoir.

 

          Est-il vrai que le parlement fait des difficultés sur les édits du roi (2) ? Ces édits m’ont paru de la plus grande sagesse.

 

          Les Anglais, nos vainqueurs, sont obligés de s’imposer des taxes pour payer leurs dettes ; il faut au moins que les vaincus en fassent autant.

 

          Souvenez-vous encore, mon cher frère, qu’il y a un Anglais (3) chargé d’un paquet pour M. d’Alembert ; et si vous voyez ce cacouac, ayez la bonté de le lui dire.

 

          Voilà bien des articles sur lesquels je vous supplie de me répondre. Adieu ; ne vous verrai-je point avant de mourir ? Ecr. l’inf.

 

          Je rouvre ma lettre pour vous dire, mon cher frère, qu’il est important que vous alliez voir M. Janel. Je suis au désespoir de ce contre-temps. Vous offrirez le paiement du paquet qu’on a retenu. C’est une bagatelle qui ne peut faire de difficulté : mais le point essentiel est qu’on vous rende la lettre pour M. le comte de Bruc, l’un de nos frères, très zélé. Il faut au moins obtenir que M. Janel ne nous fasse pas de la peine ; c’était, ne vous déplaise, un Meslier dont il s’agissait ; c’était un de mes amis qui envoyait ce Meslier à M. de Bruc : ni la lettre ni la brochure ne sont parvenues. Je vous ai écrit trois fois sur cette affaire sans avoir eu de réponse. M. de Janel est généreux et bienfaisant : il ne refusera pas de nous tirer de ce petit embarras. Je vous répète que je n’avais aucune part ni à la lettre écrite à M. de Bruc, ni à la brochure. Ce paquet fut retenu dans les premiers jours où l’on parlait du mandement de Jean-Jacques à Christophe, et il y a quelque apparence que ce mandement de Jean-Jacques nous aura nui. Je m’en remets à votre prudence ; mais je vous assure que la chose mérite d’être approfondie.

 

          J’ai reçu tous les livres que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Je reçois les Troyennes (4) : cela prouve qu’il y a des envois heureux et d’autres malheureux.

 

 

1 – Le libraire Merlin. (G.A.)

2 – Edits financiers. (G.A.)

3 – Macartney. (G.A.)

4 – Tragédie de Châteaubrun. (G.A.)

 

 

 

 

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