CONTE EN VERS - Thélème et Macare

Publié le par loveVoltaire

CONTE EN VERS - Thélème et Macare

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

THÉLÈME ET MACARE.

 

 

(1)

 

 

 

 

Thélème est vive, elle est brillante ;

Mais elle est bien impatiente ;

Son œil est toujours ébloui,

Et son cœur toujours la tourmente.

Elle aimait un gros réjoui

D’une humeur toute différente.

Sur son visage épanoui

Est la sérénité touchante ;

Il écarte à la foi l’ennui,

Et la vivacité bruyante.

Rien n’est plus doux que son sommeil,

Rien n’est plus beau que son réveil ;

Le long du jour il vous enchante.

Macare est le nom qu’il portait.

Sa maîtresse inconsidérée

Par trop de soins le tourmentait :

Elle voulait être adorée.

En reproches elle éclata :

Macare en riant la quitta,

Et la laissa désespérée.

Elle courut étourdiment

Chercher de contrée en contrée

Son infidèle et cher amant,

N’en pouvant vivre séparée.

 

Elle va d’abord à la cour.

« Auriez-vous vu mon cher amour,

N’avez-vous point chez vous Macare ? »

Tous les railleurs de ce séjour

Sourirent à ce nom bizarre.

« Comment ce Macare est-il fait ?

Où l’avez-vous perdu, ma bonne ?

Faites-nous un peu son portrait.

- Ce Macare qui m’abandonne,

Dit-elle, est un homme parfait,

Qui n’a jamais haï personne,

Qui de personne n’est haï,

Qui de bon sens toujours raisonne,

Et qui n’eut jamais de souci.

A tout le monde il a su plaire. »

 

On lui dit : « Ce n’est pas ici

Que vous trouverez votre affaire,

Et les gens de ce caractère

Ne vont pas dans ce pays-ci. »

 

Thélème marcha vers la ville.

D’abord elle trouve un couvent,

Et pense dans ce lieu tranquille

Rencontrer son tranquille amant.

Le sous-prieur lui dit : « Madame,

Nous avons longtemps attendu

Ce bel objet de votre flamme,

Et nous ne l’avons jamais vu.

Mais nous avons en récompense

Des vigiles,du temps perdu,

Et la discorde, et l’abstinence. »

Lors un petit moine tondu

Dit à la dame vagabonde :

« Cessez de courir à la ronde

Après votre amant échappé ;

Car, si l’on ne m’a pas trompé,

Ce bon homme est dans l’autre monde. »

 

A ce discours impertinent

Thélème se mit en colère :

« Apprenez, dit-elle, mon frère,

Que celui qui fait mon tourment

Est né pour moi, quoi qu’on en dise :

Il habite certainement

Le monde où le destin m’a mise,

Et je suis son seul élément :

Si l’on vous fait dire autrement,

On vous fait dire une sottise. »

 

La belle courut de ce pas

Chercher au milieu du fracas

Celui qu’elle croyait volage.

« Il sera peut-être à Paris,

Dit-elle, avec les beaux esprits

Qui l’ont peint si doux et si sage. »

 

L’un d’eux lui dit : « Sur mon avis,

Vous pourriez vous tromper peut-être :

Macare n’est qu’en nos écrits ;

Nous l’avons peint sans le connaître. »

 

Elle aborda près du Palais,

Ferma les yeux, et passa vite :

« Mon amant ne sera jamais

Dans cet abominable gîte :

Au moins la cour a des attraits,

Macare aurait pu s’y méprendre ;

Mais les noirs suivants de Thémis

Sont les éternels ennemis

De l’objet qui me rend si tendre. »

 

Thélème au temple de Rameau,

Chez Melpomène, chez Thalie,

Au premier spectacle nouveau,

Croit trouver l’amant qui l’oublie.

Elle est priée à ces repas

Où président les délicats

Nommés la bonne compagnie.

Des gens d’un agréable accueil

Y semblent, au premier coup d’œil,

De Macare être la copie.

Mais plus ils étaient occupés

Du soin flatteur de le paraître,

Et plus à ses yeux détrompés

Ils étaient éloignés de l’être.

 

Enfin Thélème au désespoir,

Lasse de chercher sans rien voir,

Dans sa retraite alla se rendre.

Le premier objet qu’elle y vit,

Fut Macare auprès de son lit,

Qui l’attendait pour la surprendre.

« Vivez avec moi désormais,

Dit-il, dans une douce paix,

Sans trop chercher, sans trop prétendre ;

Et si vous voulez posséder

Ma tendresse avec ma personne,

Gardez de jamais demander

Au-delà de ce que je donne. »

 

Les gens de grec enfarinés

Connaîtront Macare et Thélème,

Et vous diront, sous cet emblème,

Quoi nous sommes destinés.

Macare (2), c’est toi qu’on désire ;

On t’aime, on te perd ; et je croi

Que je t’ai rencontré chez moi ;

Mais je me garde de le dire.

Quand on se vante de t’avoir,

On en est privé par l’envie :

Pour te garder il faut savoir

Te cacher, et cacher sa vie.

 

 

 

 

 

 

 

1 – Voyez l’opinion de d’Alembert sur le mérite de ce conte, lettre du 22 Février 1764. (G.A.)

2 – Feu M. Vadé a fait aux lecteurs la justice de croire qu’ils savent que Macare est le Bonheur, et Théième, le Désir ou la Volonté.

 

 

 

 

 

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