CONTE EN VERS - Thélème et Macare
Photo de PAPAPOUSS
THÉLÈME ET MACARE.
(1)
Thélème est vive, elle est brillante ;
Mais elle est bien impatiente ;
Son œil est toujours ébloui,
Et son cœur toujours la tourmente.
Elle aimait un gros réjoui
D’une humeur toute différente.
Sur son visage épanoui
Est la sérénité touchante ;
Il écarte à la foi l’ennui,
Et la vivacité bruyante.
Rien n’est plus doux que son sommeil,
Rien n’est plus beau que son réveil ;
Le long du jour il vous enchante.
Macare est le nom qu’il portait.
Sa maîtresse inconsidérée
Par trop de soins le tourmentait :
Elle voulait être adorée.
En reproches elle éclata :
Macare en riant la quitta,
Et la laissa désespérée.
Elle courut étourdiment
Chercher de contrée en contrée
Son infidèle et cher amant,
N’en pouvant vivre séparée.
Elle va d’abord à la cour.
« Auriez-vous vu mon cher amour,
N’avez-vous point chez vous Macare ? »
Tous les railleurs de ce séjour
Sourirent à ce nom bizarre.
« Comment ce Macare est-il fait ?
Où l’avez-vous perdu, ma bonne ?
Faites-nous un peu son portrait.
- Ce Macare qui m’abandonne,
Dit-elle, est un homme parfait,
Qui n’a jamais haï personne,
Qui de personne n’est haï,
Qui de bon sens toujours raisonne,
Et qui n’eut jamais de souci.
A tout le monde il a su plaire. »
On lui dit : « Ce n’est pas ici
Que vous trouverez votre affaire,
Et les gens de ce caractère
Ne vont pas dans ce pays-ci. »
Thélème marcha vers la ville.
D’abord elle trouve un couvent,
Et pense dans ce lieu tranquille
Rencontrer son tranquille amant.
Le sous-prieur lui dit : « Madame,
Nous avons longtemps attendu
Ce bel objet de votre flamme,
Et nous ne l’avons jamais vu.
Mais nous avons en récompense
Des vigiles,du temps perdu,
Et la discorde, et l’abstinence. »
Lors un petit moine tondu
Dit à la dame vagabonde :
« Cessez de courir à la ronde
Après votre amant échappé ;
Car, si l’on ne m’a pas trompé,
Ce bon homme est dans l’autre monde. »
A ce discours impertinent
Thélème se mit en colère :
« Apprenez, dit-elle, mon frère,
Que celui qui fait mon tourment
Est né pour moi, quoi qu’on en dise :
Il habite certainement
Le monde où le destin m’a mise,
Et je suis son seul élément :
Si l’on vous fait dire autrement,
On vous fait dire une sottise. »
La belle courut de ce pas
Chercher au milieu du fracas
Celui qu’elle croyait volage.
« Il sera peut-être à Paris,
Dit-elle, avec les beaux esprits
Qui l’ont peint si doux et si sage. »
L’un d’eux lui dit : « Sur mon avis,
Vous pourriez vous tromper peut-être :
Macare n’est qu’en nos écrits ;
Nous l’avons peint sans le connaître. »
Elle aborda près du Palais,
Ferma les yeux, et passa vite :
« Mon amant ne sera jamais
Dans cet abominable gîte :
Au moins la cour a des attraits,
Macare aurait pu s’y méprendre ;
Mais les noirs suivants de Thémis
Sont les éternels ennemis
De l’objet qui me rend si tendre. »
Thélème au temple de Rameau,
Chez Melpomène, chez Thalie,
Au premier spectacle nouveau,
Croit trouver l’amant qui l’oublie.
Elle est priée à ces repas
Où président les délicats
Nommés la bonne compagnie.
Des gens d’un agréable accueil
Y semblent, au premier coup d’œil,
De Macare être la copie.
Mais plus ils étaient occupés
Du soin flatteur de le paraître,
Et plus à ses yeux détrompés
Ils étaient éloignés de l’être.
Enfin Thélème au désespoir,
Lasse de chercher sans rien voir,
Dans sa retraite alla se rendre.
Le premier objet qu’elle y vit,
Fut Macare auprès de son lit,
Qui l’attendait pour la surprendre.
« Vivez avec moi désormais,
Dit-il, dans une douce paix,
Sans trop chercher, sans trop prétendre ;
Et si vous voulez posséder
Ma tendresse avec ma personne,
Gardez de jamais demander
Au-delà de ce que je donne. »
Les gens de grec enfarinés
Connaîtront Macare et Thélème,
Et vous diront, sous cet emblème,
Quoi nous sommes destinés.
Macare (2), c’est toi qu’on désire ;
On t’aime, on te perd ; et je croi
Que je t’ai rencontré chez moi ;
Mais je me garde de le dire.
Quand on se vante de t’avoir,
On en est privé par l’envie :
Pour te garder il faut savoir
Te cacher, et cacher sa vie.
1 – Voyez l’opinion de d’Alembert sur le mérite de ce conte, lettre du 22 Février 1764. (G.A.)
2 – Feu M. Vadé a fait aux lecteurs la justice de croire qu’ils savent que Macare est le Bonheur, et Théième, le Désir ou la Volonté.