FACÉTIE - Fragment d'une lettre sur Didon

Publié le par loveVoltaire

FACÉTIE - Fragment d'une lettre sur Didon

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FRAGMENT D’UNE LETTRE SUR DIDON.

 

 

TRAGÉDIE.

 

 – 1760 –

 

 

__________

 

 

 

          Plusieurs personnes ayant à l’envi rendu M. Le Franc de Pompignan célèbre, et tout Paris parlant de lui, j’ai voulu le lire ; j’ai trouvé sa Didon (1) : je n’ai pu encore aller au-delà de la première scène ; mais j’espère poursuivre avec le temps. Cette première scène m’a paru un chef d’œuvre. Iarbe déclare d’abord,

 

Que ses ambassadeurs irrités et confus

Trop souvent de la reine ont subi les refus :

Qu’il contient cependant la fureur qui l’anime ;

Que déguisant encor son dépit légitime,

Pour la dernière fois en proie à ses hauteurs,

Il vient sous le faux nom de ses ambassadeurs,

Au milieu de la cour d’une reine étrangère,

D’un refus obstiné pénétrer le mystère ;

Que sait-il ? n’écouter qu’un transport amoureux,

Se découvrir lui-même, et déclarer ses feux,

 

          Madherbal, officier de la reine étrangère, lui répond :

 

Vos feux ! que dites-vous ? ciel, quelle est ma surprise !

 

          Ce Madherbal en effet peut être surpris, pour peu qu’il sache la langue française, que des ambassadeurs subissent des refus, etc. ; que le prince larbe,

 

.  .  .  .  .  .  .  .   En proie à des hauteurs,

Vienne sous le faux nom de ses ambassadeurs ;

 

car ce Madherbal doit croire que ces ambassadeurs ont un faux nom, et que ce Iarbe prend les noms de trois ou quatre ambassadeurs à la fois. Iarbe lui réplique :

 

Je pardonne sans peine à ton étonnement ;

Mais apprends aujourd’hui l’excès de mon tourment ;

J’ai quitté malgré moi les bords de Géthulie.

 

          C’est comme si on disait : J’ai quitté les bords de Quercy, qui est au milieu des terres. Ensuite il apprend à cet officier,

 

Qu’il vient, peut être épris d’une flamme trop vaine,

Tenter  lui-même encor cette superbe reine.

 

Apparemment que la tentation n’a pas réussi, car il ajoute que ses soldats et ses vaisseaux

 

Couvriront autour d’elle et la terre et les eaux.

L’amour conduit mes pas, la haine peut les suivre, etc.

 

          Madherbal, toujours étonné de ce qu’il entend, et surtout d’une haine qui va suivre les pas de Iarbe, lui répond :

 

Non, je ne reviens point de ma surprise extrême.

 

Je suis comme Madherbal ; je ne reviens point de ma surprise, de lire de tels discours et de tels vers : le style est un peu de Gascogne (3).

 

.  .  .  . Je fus (dit Iarbe) dans nos déserts

Ensevelir la honte et le poids de mes fers.

 

 

          L’auteur, qui fut de Montauban à Paris (4) donner cet ouvrage, fut assez mal conseillé ; je ferai ce que je pourrai pour achever la pièce ; je suis déjà édité de son Epître dédicatoire, dans laquelle il se compare, avec sa modestie ordinaire, au cardinal de Richelieu (5) ; et j’avoue qu’en fait de vers le Gascon peut s’égaler au Poitevin…

 

 

 

1 – Maupertuis. Voyez l’Histoire du docteur Akakia. (G.A.)

2 – La Didon de Le Franc avait été jouée le 21 Juin 1734. Presque tous les vers que critique ici Voltaire furent corrigés depuis par l’auteur. (G.A.)

3 – Le Franc était de Montauban. (G.A.)

4 – Voltaire lui-même employa longtemps cette locution vicieuse. (G.A.)

5 – « J’ai eu le plaisir … de voir des personnes de la plus haute qualité … approuver, je ne dis pas mon ouvrage, mais la démarche que j’ai faite de m’en avouer l’auteur. Le cardinal de Richelieu… voulait joindre à la solide gloire qu’il s’était acquise par le ministère, celle d’avoir composé des ouvrages de théâtre. » (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

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